Un article rédigé et illustré par les étudiants

Chaque trimestre, les étudiants de l’Institut publient un article qu’ils ont rédigé sur une conférence à laquelle ils ont assisté. Le texte est complété par une illustration graphique dont ils sont également les auteurs. Ces productions illustrent la capacité à travailler en équipe, la curiosité vis-à-vis des sciences et la créativité des étudiants de notre Institut. Le thème de la conférence et le travail de vulgarisation scientifique témoignent de notre souci de former des scientifiques citoyens.

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La dernière méthode de pointe utilisant un procédé chimique pour le relevé des empreintes digitales sur les scènes de crime créée par un laboratoire du CNRS a été dévoilée lors d’une conférence aux élèves de l’institut Villebon – Georges Charpak.

Les toutes dernières innovations portant sur les méthodes de relevé des empreintes digitales sur les scènes de crime, créées par le laboratoire PPSM du CNRS nous ont été présentées ce vendredi 7 octobre 2022, par Laurent Galmiche, ingénieur de recherche chimiste à l’ENS Paris-Saclay.

Ce laboratoire a en effet découvert une nouvelle association de molécules chimiques, commercialisée sous le nom de kit Lumicyano™, permettant de révéler les empreintes digitales invisibles sur tous types de matériaux en les rendant lumineuses. Cette découverte révolutionnaire a hautement simplifié le travail de toutes les polices scientifiques du monde, et continue d’être améliorée par le laboratoire.

Les empreintes digitales, des preuves importantes

De nos jours, les empreintes digitales sont devenues des preuves très précieuses pour les gendarmes afin d’identifier les criminels. Mais pourquoi privilégier cette méthode à celle de l’ADN?
Parce que la police dispose d’une base de données de comparaison assez importante en termes d’empreintes digitales, ce qui n’est pas le cas pour l’ADN, davantage soumis aux législations, ce qui permet d’identifier un individu avec une certitude proche de 100%, et ce, avec seulement 12 points particuliers identifiés sur une empreinte inconnue ! Et nous laissons constamment des empreintes sur tous les objets que nous touchons.

« L’eau de la sueur et le gras de notre sébum se mélangent sur nos doigts et nos mains, et, avec le relief, vont se comporter comme un tampon encreur à la surface de l’objet .»

Par ailleurs, les analyses ADN sont réservées uniquement à des personnes déjà suspectées ou ayant un casier judiciaire, mais l’ADN d’un individu normal non suspecté ne peut être conservé pour des raisons éthiques, ce qui rend très difficile l’identification.

Les empreintes digitales sont une succession de crêtes et de creux. Elles sont considérées comme des données complètement fiables, car elles sont immuables à l’échelle d’une vie, et sont uniques pour chaque individu (même pour des jumeaux !).

Une invention révolutionnaire

Image libre de droit provenant de la police de l’ISC (cliquez pour agrandir)

Avant de pouvoir analyser une empreinte, encore faut-il pouvoir la rendre visible. Ainsi, il faut faire en sorte que la trace latente laissée par un doigt soit suffisamment nette et contrastée pour pouvoir en observer les détails.

Pour ce faire, les policiers ont historiquement utilisé plusieurs méthodes. Les poudres dactyloscopiques figurent parmi les plus anciennes, mais présentent également de nombreux désavantages.
Plus tard, en 1978, la police s’est mise à utiliser la fumigation (à 120°C) du cyanoacrylate. Cette technique de fumigation produit une fine couche solide de polycyanoacrylate sur le motif de l’empreinte, en seulement 40 minutes. “Cependant, le polycyanoacrylate, c’est blanc, et ce sera toujours blanc”. Cette blancheur rend impossible la prise de photo sur des matériaux clairs ou translucides, du fait du manque de contraste.

L’anecdote

Le Cyanoacrylate est une molécule qui a été synthétisée pour la première fois dans le cadre d’un projet de recherche pour l’armée, afin de faire les gravures pour la mire des viseurs de leurs fusils d’assaut. S’étant rendu compte que la substance collait à tout de façon forte, ils ont abandonné cette molécule avant de penser à en faire un développement industriel, qui est devenu la célèbre Super-Glue !

Image libre de droit provenant de la police de l’ISC (cliquez pour agrandir)Pour pallier ce problème, les policiers utilisaient alors un post-traitement, consistant à arroser l’empreinte de fluorophore (un composé fluorescent), afin de rendre l’empreinte lumineuse. Cependant, ce « post-traitement » avait beaucoup de limites : dégradation de l’ADN par les solvants sur les pièces à conviction, nécessité de disposer d’équipements de protection pour les techniciens, durée de la procédure (24 à 48h)… pour des résultats souvent hasardeux, avec de grands risques de lessivage.

“Une technicienne de la gendarmerie nous a raconté que lors d’une enquête, elle a cherché sur près d’un millier d’objets des empreintes, sans succès. Et lorsqu’un jour elle en voit une sur un sac en plastique, impossible de prendre une photo : il faut faire un traitement. Et au moment du post-traitement, elle voit l’empreinte glisser et se défaire sur le film en plastique : l’horreur !”

De ce fait, “dès le début des années 80, les policiers se sont dit que le cyanoacrylate devrait être fluorescent”, ce que les scientifiques ont testé en le combinant à des molécules luminescentes. Mais cela rendait la molécule plus lourde, nécessitant une plus haute température de fumigation.

C’était un gros problème pour les policiers, pour qui changer seulement une pièce de leur machine pouvait coûter plusieurs milliers d’euros. De plus, tout changement de protocole engendrerait de lourdes démarches administratives et juridiques, pour des raisons d’habilitation. “Le produit développé ne plaisait donc pas aux policiers pour cette raison.”

Il n’en fallut pas plus pour que le laboratoire de Laurent Galmich s’empare de ce problème, et y trouve une solution, en collaboration avec la start-up française Crime Science Technology, en associant ingénieusement une nouvelle molécule lumineuse au cyanoacrylate !

Un gain de temps et une efficacité incomparables

La molécule fluorescente choisie dans l’association au cyanoacrylate est la tétrazine. Celle-ci est tellement légère que l’on peut la fumiger avec le cyanoacrylate sans modifier la température, et sans détruire les preuves ADN !

La résolution de l’empreinte est également grandement améliorée : l’équipe de Laurent Galmiche se rend compte que le produit forme de tout petits filaments qui viennent se fixer aux graisses de la trace latente, permettant d’obtenir des clichés d’une qualité encore inégalée.

Ainsi, plus besoin d’attendre des journées avec des composés toxiques, l’ADN est conservé et la molécule fumigée peut même être excitée à plusieurs longueurs d’onde choisies en fonction du matériau à analyser. La nouvelle fit sensation pour les polices du monde entier : du FBI à la police allemande, toutes se sont arraché cette technique révolutionnaire. La fluorescence de la tétrazine est un phénomène lié à la photoluminescence. Mais, qu’est-ce que la photoluminescence ?

Qu’est-ce que la fluorescence ?

La photoluminescence est un phénomène par lequel un atome (ou une molécule, dans notre cas) absorbe des photons (des particules de lumière), avant d’en réémettre. Il existe notamment deux grands types de photoluminescence, la phosphorescence, qui restitue lentement la lumière absorbée, et qui se retrouve par exemple dans les veilleuses pour enfant, et la fluorescence, qui réémet directement de la lumière juste après l’absorption. Il faut noter que la lumière absorbée par les atomes contient plus ou moins d’énergie, en fonction de sa longueur d’onde (qui correspond aussi sa couleur).

Schéma du principe de la photoluminescence

Schéma du principe de la photoluminescence (cliquez pour agrandir)

Ainsi, les longueurs d’onde de l’ultraviolet (invisibles) sont plus énergétiques que celles de la lumière visible. Une substance photoluminescente ne pourra émettre que dans une longueur d’onde d’énergie inférieure à la longueur d’onde qu’elle a absorbée, car elle ne peut pas produire plus d’énergie qu’elle n’en a reçu.

Ainsi, la tétrazine, qui absorbe les ultraviolets et la lumière verte, pourra émettre par fluorescence (donc de manière immédiate) une couleur jaune-orangée, ce qui la rend par ailleurs très visible sur une très grande diversité de couleurs et de matériaux ! Par exemple, le plastique blanc étant souvent fluorescent en bleu sous lumière ultraviolette, la tétrazine peut être excitée dans le visible, ce qui permet de contourner les difficultés causées par les azurants utilisés pour blanchir les plastiques.

Le nouveau procédé de référence

Le cyanoacrylate se trouve aujourd’hui sous différentes formes (fluides, gels…). Mais pour une meilleure révélation d’empreintes, le labo s’est tourné vers une forme de cyanoacrylate qui sert également dans le domaine médical pour faire des sutures, et qui donne une qualité visuelle assez élevée de l’empreinte.

Après l’invention du procédé associant tétrazine et cyanoacrylate, le problème de la commercialisation s’est posé, il fallait, d’une part, éviter l’espionnage industriel et garder un maximum de secret sur le kit Lumicyano™, et, d’autre part, donner un produit qui convaincra les techniciens de la police scientifique sans drastiquement changer leur méthode de travail très strictement réglementée.
Ainsi la première version du kit consistait en un mélange de cyanoacrylate et de tétrazine, en faible quantité (<1 % ), ce qui permettait non seulement de garder le secret sur la molécule utilisée, mais aussi que les policiers puissent faire leur fumigation comme à leur habitude, avec la fluorescence en plus !

Il faut ici savoir que plus on met de tétrazine dans le cyanoacrylate, plus les empreintes sont visibles, mais plus le produit se détériore vite dans le temps en durcissant ! Il fallait donc trouver un compromis.
Cette première commercialisation eut pour effet d’imposer le kit Lumicyano™ sur le marché, et de convaincre la police de l’efficacité du produit. Après quoi, le laboratoire et l’industriel associé ont commercialisé une nouvelle version du kit, avec cette fois-ci le cyanoacrylate et la tétrazine séparés, permettant d’avoir des empreintes bien plus lumineuses. Ce produit s’est imposé comme la nouvelle molécule indispensable aux enquêtes policières dans le monde.

Ce petit bijou scientifique permet désormais de reconnaître les crêtes et les pores des empreintes, c’est-à-dire reconnaître un individu avec seulement une empreinte partielle, grâce au cyanoacrylate médical qui a une qualité de développement exceptionnelle. “La qualité de développement est déterminée par la façon dont le polymère se polymérise .” : d’où l’importance du choix de cyanoacrylate. Mais cette polymérisation dépend aussi de l’hygrométrie. La police a pu établir que les conditions optimales se situaient à 80 % d’humidité. De la même manière, la température d’ébullition devient elle aussi importante.

Polymérisation en nouilles du cyanoacrylate, illustration de la conférence de Laurent Galmiche

“À chaque fois qu’on avait une belle qualité de développement macroscopique, c’est à dire une belle empreinte, lorsque l’on observait l’empreinte au microscope, on observait une polymérisation en nouilles”

De plus la tétrazine se fixe uniquement sur les fibres de cyanoacrylates ce qui évite les bavures que l’on pouvait connaître précédemment avec les solvants.
“Dans le post-traitement, on fait en quelque sorte des nouilles de polymères à la sauce fluorophore. Nous, on fait des nouilles au fluorophore, c’est beaucoup mieux !”

En quête d’une nouvelle innovation dans la détection d’empreinte

Une nouvelle idée bien pratique serait de pouvoir investiguer de grandes surfaces, comme les murs d’une pièce entière, sur place pour en révéler les empreintes, car il est assez difficile de déplacer un mur en laboratoire ou de fumiger tout un appartement ou un couloir…

D’où l’idée d’utiliser des sprays ! Et cette idée est déjà à l’étude : en effet, l’équipe de l’ENS a réalisé un prototype fonctionnel, baptisé Cyano Spray, avec l’équipe de Laurent Galmiche. Le principe est simple, on vaporise de la colle avec un spray sur la surface souhaitée, puis on y ajoute le Lumicyano™ pour que les empreintes apparaissent. “ la perte de fluorescence au cours du temps due à la volatilité du Lumicyano™ pourrait sûrement être réglée, car avec un spray, a priori, on pourrait utiliser n’importe quel fluorophore, même plus lourd, qui restera bien en place ”.

C’est donc ce qu’ils ont tenté avec un fluorophore vert, le BODIPY, qui a effectivement très bien marché. Plus besoin alors de déplacer des parties de la scène de crime, plus besoin de savoir précisément où se trouvent les empreintes : on peut ratisser large ! Seulement voilà, de nombreux problèmes techniques se sont posés, et notamment le fait qu’un spray qui vaporise de la colle a la fâcheuse tendance à se boucher en séchant.

« On a essayé de voir quelle était la quantité minimale de colle à mettre pour que ça marche. Alors on a réduit la dose, petit à petit, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus du tout de colle. Et là surprise, ça marchait quand même ! En fait, le gras présent dans les empreintes est suffisant pour permettre au fluorophore de se disperser dedans, ce qui lui permet de devenir fluorescent. »

Le BODIPY ne brillant qu’avec des molécules dispersées, la question de la colle était réglée. Mais s’ajoutent alors d’autres problèmes liés aux différents types d’empreintes et la problématique de vitesse de pénétration des molécules de BODIPY sur les empreintes, pour qu’il les révèle correctement. Pour en savoir plus, « Je vous invite à aller voir les travaux de la Dr Alexandra Sauvêtre , à qui tout ce projet doit beaucoup » nous a chaudement recommandé M. Galmiche.

Il existe encore de nombreuses améliorations pour perfectionner les techniques au service des enquêtes policières. Une autre piste actuellement étudiée est celle de la datation des empreintes digitales : une telle découverte permettrait d’établir une chronologie précise des actions sur une scène de crime, améliorant grandement la compréhension des enquêteurs.

Fiche métier: Ingénieur de recherche

Laurent Galmiche, ingénieur de recherche au laboratoire de photophysique et photochimie supramoléculaire et macromoléculaire (PPSM).

C’est quoi un ingénieur de recherche ?

LG : Ça fait partie de la famille des “personnels d’appuis à la recherche” essentiels au fonctionnement d’un laboratoire, qui exercent des métiers un peu méconnus comparativement aux chercheurs ou aux maîtres de conférence. Ce sont des métiers dans le domaine de la recherche qui vont assurer des fonctions de services.

C’est-à-dire que l’on va s’assurer que les enseignants-chercheurs disposent d’équipements fonctionnels, parfois être responsable de leur bon fonctionnement. On va participer à des projets de recherche, mais sans la pression du chercheur qui doit trouver une nouvelle idée géniale tous les mois pour avoir des publications.

Si on a une, nous sommes bien sûr invités à l’exprimer, mais si on en a pas, on ne nous le demande pas alors c’est pas grave ! C’est un peu une version “soft” de la recherche » dans laquelle je m’épanouis pleinement.

Pourquoi avoir choisi ce métier ?

LG : Au lycée, j’étais un élève moyen moins, juste au-dessus de médiocre, avec une moyenne en dessous de 10 en terminale pour mon BAC E de l’époque. Alors les prépas déjà, il fallait les oublier. J’avais aussi candidaté au BTS de mon lycée, qui venait d’ouvrir, et malgré ça je n’ai même pas été mis en liste d’attente.

Donc j’ai fait la FAC, puisqu’en plus, quand j’avais parlé de faire des études à mes parents, ils m’avaient dit de faire ce que je voulais, tant que c’était à Brest – je suis de Brest – comme ça c’était clair, la FAC, à Brest. J’ai donc fait toute ma FAC à Brest, avec une première année laborieuse parce que je n’étais pas très bon élève. J’ai décidé de faire de la chimie, parce que les maths, c’est dur, et la physique, c’est compliqué, alors il me restait la chimie.

À partir de la licence, il n’y avait plus que de la chimie, donc là, ça y est, je m’en sortais un peu mieux, et j’avais mûri aussi. J’ai fini par avoir mon DEA (un équivalent du master), j’ai même pu avoir une bourse pour faire ma thèse, à Brest toujours. J’ai ensuite fait un post-doc européen à l’École Supérieure de Physique Chimie Supérieure à Paris. J’ai ensuite fait quelques postes « d’enseignants chercheur en CDD » avant d’essayer de passer les concours de maître de conférence.

Concours que je n’ai pas réussi (pendant 4 ans), et je me suis alors dit que si je n’avais jamais été premier c’était que peut-être je n’étais pas vraiment fait pour ça et que je n’y croyais pas moi-même. C’est à ce moment que mon labo à l’ENS m’a rappelé pour me dire qu’un poste d’ingénieur d’étude venait de s’ouvrir, et me demandait si j’étais intéressé.

À l’époque j’étais au chômage, alors j’ai dit oui, sans vraiment avoir d’idées sur le métier puisque je n’en avais jamais entendu parler avant. Finalement, ça a été une vraie révélation pour moi. C’est une fonction dans laquelle je me suis épanoui et qui m’a permis de devenir ingénieur de recherche.